Soupir. Exaspération. Je regarde mon repas, découragé. Pendant l'avant-midi, j'avais cherché un endroit où que je pourrais me cacher pour déjeuner tranquillement. J'ai rapidement trouvé un refuge : le toit. Heureusement, j'y étais seul et je pouvais enfin souffler. Je n'apprécie pas particulièrement l'école, il y a beaucoup trop de personnes à mon goût personnel. Devoir rester assis près des êtres qui t'ont toujours considéré comme inférieur n'était pas quelque chose de reposant à mon avis. Malgré le fait que je n'avais reçu aucune insulte, je ne me plaisais pas ici. Je suis sûrement un chat de gouttière, un pauvre matou qui ne recherche que l'aventure et non être confiné à cet endroit. Malgré que cette école nous permettait un peu de liberté, à nous, les Nekos.

J'avale difficilement ma bouchée, regardant le paysage qui s'étend plus bas. Je me sentis soudainement grand à voir ces petits points noirs qui se mouvaient plus bas. Il y avait quelques masses sombres, quelques groupes d'amis réunis, des amoureux déjeunant sous des arbres. Mais moi, je suis seul. Comme toujours. Mais je préfère ma vie ainsi, ne compter que sur soi-même. Je ne fais confiance à personne. Car la confiance pour moi est un sujet tabou. Je n'ai même plus la force de la donner.

Je sursaute quand la porte du toit de referme et que je me retrouve en compagnie d'un nouveau visage. Pas complètement nouveau. C'est le professeur qui était venu à notre rencontre, au jeune homme roux et moi. L'accident se déroule en une fraction de seconde dans ma mémoire, tandis que je reviens rapidement à la réalité. Je sursaute de nouveau lorsque celui-ci ébouriffe gentiment mes cheveux de jais, comme les siens. Il me sourit, comme si la vie était magnifique alors que moi je la voyais sans couleur. Je lui rendis de peine et misère, rapportant mon regard sur mon déjeuner. « Pourquoi t'es tout seul ? Les autres ne veulent pas de toi ? » Je me sentis encore plus misérable. Les autres. Je ne veux même pas les connaître. Mieux vaut pour eux de ne connaître que mon apparence physique et ne pas connaître qui se cache derrière ce visage.

Je trouve finalement le courage de lever mes pupilles vers le visage sans nom, lui adressant un pauvre sourire.
« Je ... ne sais pas. Mais ils semblent beaucoup plus heureux sans ma présence. »
Je porte maladroitement mes mains tremblantes vers mon col roulé, prenant la croix que je fis rouler entre mes mains, puis je le remis sous ma chemise, essayant de refouler mes sentiments et de rester neutre envers le professeur.

Je baisse mon regard, intimidé par ces prunelles rougeoyantes et aux pupilles félines. Je lui lance quelques coups d'oeil, remarquant que sa bonne humeur avait disparu pour laisser place à un visage triste. Un visage comme le mien et comme celui de tant de petits chatons égarés. Il semble avoir compris la source de mon problème. Je ne veux pas que mes sentiments viennent le rejoindre. Je préfère qu'il reste heureux comme il l'était quelques minutes auparavant. Je sursaute au contact de sa main sur mes cheveux. Je recule vivement, la mèche retombant sur mon visage. C'est un réflexe que j'ai depuis tout jeune. Je déteste que l'on me touche. Je déteste que l'on s'approche de moi. Oui, depuis toujours, je suis un animal sauvage.

Je me redresse et dépose mon déjeuner, puis je m'éloigne vers les grilles qui recouvraient le toit. Je ne voulais pas qu'il me voit. Je ne voulais pas qu'il s'inquiète pour moi. Mes mains s'agitèrent plus vite sur ma petite croix, n'y trouvant plus le réconfort nécessaire.

« Il est impossible pour moi de sourire. », dis-je en murmurant.

Je me tourne vers lui, tête baissé, et retourne m’asseoir docilement. Il ne serait pas content de moi si je manquais de respect envers les professeurs. Et je voulais éviter sa colère au plus haut point. Il lèverais de nouveau sa main vers moi. Il me ferait encore du mal. Je chasse habilement ces idées noires de mon esprit et je pris une bouchée de mon déjeuner, silencieux. Comme si rien ne s'était passé.

Je levai mon regard vers le professeur qui semblait être énervé. En colère contre cette société pourrie. Quelle situation étrange. Il semblait vouloir prendre toute la misère du monde sur ses épaules. Sa réaction illumine légèrement mes yeux, qui le fixent sans comprendre. La tête penchée sur le côté, je le regarde.

« La colère ne résoudra rien. »

Je pris une nouvelle bouchée de mon déjeuner, redevenant aussi silencieux et neutre qu'avant. Toujours aussi distant des autres. Je cherchais seulement un endroit où être seul et éviter justement ce genre de situation. Je dépose mon déjeuner, mon appétit coupé soudainement. Me rappelant qui m'avait envoyé ici. Je lève mes prunelles vers le ciel, observant les nuages passants. Comme j'aimerais être un nuage, libre, qui avance au gré du vent. Un sourire nostalgique s'étira sur mes lèvres. Comme je regrettais le temps où j'étais dans la rue. C'était largement mieux qu'être devenu ce que j'étais aujourd'hui.

« Vous devriez manger quelque chose. »

Je baisse mon regard sur lui, pointant son repas du doigt.

J'hausse les épaules. S'il n'a plus faim, alors pourquoi reste-t-il ici ? Il ne se fait que du mal. Et c'est ce que je veux éviter à tout prix ; faire du mal aux autres. Pourquoi s'obstinent-ils à vouloir mon bonheur alors que je sais pertinemment que c'est impossible ? Rien ne pourrait changer ma condition, car je l'accepte désormais. Je l'accepte comme tel, comme cela doit être selon moi. Je suis une erreur de la nature, que l'on a abandonné dans la rue alors que je n'étais qu'un enfant. Je ne me souviens pas de mes parents, mais seulement de ces bras qui se tendaient vers moi. Un visage noir et sans nom semblait sourire, alors qu'il balançait au-dessus de mes yeux cette croix que je porte. Je me lève, ayant fini mon repas.

« Vous ne devriez pas vous en faire pour moi. »

Je lui fis un pauvre sourire, me dirigeant vers la porte.

Je fis un pas vers l'arrière lorsqu'il s'interpose entre moi et la porte. Pourquoi ? Je ne veux pas qu'il souffre par ma faute. Je ne veux pas qu'il s'en fasse pour moi. Lorsqu'il tendit les bras, mes sourcils de haussèrent. Je le regarde, mes prunelles émeraudes s'assombrissant légèrement. Il avait fait le même geste lorsque j'étais allez chez-lui chercher de l'aide. Il m'avait tendu les bras et m'avait accueilli avec un large sourire. Ô combien j'aurais du partir à ce moment-là, me douter de tant de générosité de la part d'un humain. Cependant, cette situation est différente. « Je me connais. Que je le veuille ou non, je serais inquiet pour toi. Tu ne peux rien y faire, je suis comme ça. » Je le fixe, sans mot. Il a toujours les bras levés, comme s'il attend une quelconque réaction de ma part. Il semble bien se douter que je risque de reculer. Je ne suis pas difficile à comprendre. Comme un livre ouvert. « Je veux essayer de t'aider, juste afin que tu ne... Que tu puisse penser qu'au final tu n'es pas seul. » Je reste immobile, mon visage changeant légèrement d'humeur. Passant de neutre à triste. Quel peut être ce sentiment ? Un sentiment qui serre le coeur et que pourtant, j'en éprouve une certaine joie ?

« Vous feriez ça pour moi ? »

L'autre sourit à mes paroles, comme s'il est heureux de ma réaction. « Tu en doutes..? Bien sur que je le ferais. C'est promis. » Et s'il faisait semblant ? Et s'il se moquait de moi ? Que dois-je croire à présent ? J'hésite à m'avancer à sa rencontre, à accueillir ce flot de compassion à bras ouvert. Je le regarde. Oui, je doute. Oui, j'ai peur. Oui, mes mains tremblent et oui, mon coeur bat la chamade. Suis-je heureux ? Suis-je soulagé ? Que dois-je faire ? Pourquoi tant de questions sans réponses ? Je fis un petit mouvement vers l'avant, un petit pas. Il tient toujours ses bras dans les airs, malgré ses airs de fatigue, il tient bon. Il refuse d'abandonner. Existe-il encore de si bonnes personnes sur cette planète ? Existe-t-il seulement encore le Bien dans ce monde de corruptions ? Je franchis finalement la distance qui nous sépare, me sentant soulagé et en sécurité dans ses bras. Je m'accroche à sa chemise, comme un enfant apeuré, tandis que les larmes coulent doucement sur mes joues rougies par toutes les émotions qui déferlent dans mon coeur. Et je ne peux quand ce moment prononcer ce mot, qui sort difficilement de ma gorge serrée.

« Merci »

Mes genoux menacent de flancher et je tiens à peine debout. Toute la souffrance déferle, sème la tempête dans mon coeur et dans mon corps. Mon sang se transforme en venin et mon coeur brûle, il est en feu. Tout mon être est couvert de ces flammes invisibles, qui dévorent ma peau et qui rongent mes os. « Je... serais là... Au besoin... » Ces paroles résonnent dans ma tête qui menace d'exploser. J'essaie de reprendre le contrôle de mes sentiments que j'avais contenu depuis beaucoup trop longtemps. J'essaie de me redresser, de contrôler mes tremblements. Mes larmes coulent sans arrêt, tandis qu'un râlement sort d'entre mes lèvres. En ce moment, je n'ai plus la force de lutter, de combattre ces émotions. J'aimerais tant ne jamais être né, ne jamais avoir connu la souffrance. Pourquoi la vie est-elle si injuste ? Pourquoi tant de douleur ? Pourquoi dois-je vivre dans ce monde ? Comme j'aimerais disparaître à tout jamais. Me transformer en un magnifique papillon ou en un oiseau, ou alors devenir un nuage me laisser aller au gré de la brise. Alors que j'essaie de me redresser, mes genoux flanchent.

Je fus surpris de la robustesse du professeur, qui me rattrape alors que je tombais. Il me soutient fermement, malgré que je pèse pratiquement autant que lui. Je sens son menton sur mes cheveux de jais. « Ça va..? » Je prend une grande inspiration, me calmant. Je reprend finalement le contrôle de mes émotions et je me redresse par moi-même, libérant le professeur de son lourd fardeau. Je recule, me défaisant de son étreinte. Non que je ne trouve pas la chaleur de ses bras rassurante, mais simplement parce que je trouve qu'il mérite aussi de souffler. J'essuie mon visage de mes larmes du revers de ma manche et je retrouve enfin mon visage froid, celui qui me protège contre ce monde pourri. Je n'avais jamais démontré de faiblesse à qui que ce soit et je me sens soudainement très mal à l'aise. Je vais prendre la boîte qui avait contenu mon repas et je me retourne vers lui, le regard sérieux.

« S'il vous plaît, ne dîtes à personne ce qui vient de se passer. »

Je le fixe silencieusement, mes prunelles vertes dans les siennes. Je doute encore, mais moins. Je souhaite lui accorder ma confiance, mais cela sera très difficile. Il faudra du temps. J'espère qu'il le comprendra.

Pourquoi faisait-il toujours cette tête là. Comme s'il se sentait vexé et blessé à chaque fois que quelqu'un le repoussait. Enfin, repousser est un bien grand mot. Nous n'allions quand même pas rester toute l'heure du déjeuner entrelacés comme si nous étions ... Enfin bref, je m'en veux de le voir ainsi, comme s'il interprétait mal mes gestes. Finalement, je vis un sourire s'épanouir sur son visage et cela me soulage de savoir qu'il a finalement bien interprété ce que je voulais. « Ça restera entre nous, c'est promis. » Il ne semble pas bien pressé de descendre, alors qu'il lève la tête vers le ciel. Curieux, je fis de même. Il y avait quelques nuages qui se laissent aller au gré de la brise et quelques oiseaux qui gazouillent en s'envolant. Je souris doucement. Finalement, je m'avance vers l'un des murs et je m'y laisse glisser, me retrouvant assis de nouveau sur le sol, ramenant mes jambes contre moi. Je vais rester encore un peu ici.

Je lève légèrement mon regard émeraude vers le professeur, me questionnant sur ce qu'il était en train de penser.

Je regarde le ciel. Je regarde mes mains tremblantes. Pourquoi trembles-tu, petit Neko ? Mon corps fut parcouru d'un violent frisson. Tient, voilà une couverture pour toi. Tu veux du lait chaud ? Oh oui, tu en veux, je le vois dans ton sourire. Je serrai les points. Pauvre naïf que j'avais été. Je ramène entre plus mes jambes contre moi, posant mon menton sur mes genoux, entourant mes jambes de mes bras. Mes oreilles s'abaissent un peu plus vers l'arrière, tremblant avec le reste de mon corps. Tu vas te plaire ici, je vais bien m'occuper de toi. Je baisse la tête, mon front touchant maintenant mes genoux. J'aimerais tant disparaître, devenir un fantôme et ne plus à devoir endurer toutes ces souffrances de la vie. Ne pleure plus, je suis là maintenant. Je tremble de rage, de tristesse, de colère, de haine, de solitude. J'agrippe mes jambes avec mes mains. Je redresse finalement la tête, le visage dur. Je ne pleurerai plus jamais. Peut-être que si je me battais pour ma liberté, je pourrais me sortir de ce cauchemar.